16 Mai Notre rendez-vous en terre inconnue chez les Mentawai
Comment avions-nous entendu parler des dernières Tribus des hommes-fleurs des îles Mentawai la première fois ? Je ne m’en souviens plus… je pense que c’était au travers d’un post de surf sur Facebook. Inutile de dire que mon envie d’aller à leur rencontre a été immédiate, mais le voyage étant long et ayant un coût, je l’ai longtemps postposé. Un deuxième hasard a placé sur ma route celui qui allait être mon guide sur place. Nous avons parlé tout les soirs pendant plusieurs mois. Puis, un jour on a fixé la date, pour ne plus reculer, c’est comme ça que les rêves deviennent des projets. Comme d’habitude, mon sac a été fait à la dernière minute et j’avais peu lu sur l’endroit en question pour arriver sans a priori sur les lieux. A refaire, je préparerais mieux mon matériel pour ajouter un peu au confort, très sommaire, de l’expédition. Ainsi, je remplacerai les jouets gonflables de surf couinant de mon fils par de vrais matelas pour dormir,
Pour vous rendre là-bas à partir de Bali, il vous faudra une journée de trajets en avion. Nous avons donc passé la première nuit à Sumatra, dans une petite guesthouse à Padang, « The new house », pas mal, routard de luxe (air conditionné, mais salle de bain partagée) de quoi nous mettre dans l’ambiance. La matin, après un petit déjeuner sommaire (il était trop tôt) nous avons prix le fast boat pour Siberut (la plus grande île des Mentawai, à l’Ouest de Sumatra). Fastboat très confortable, ponctuel, mer plate… Attention aux engelures toutefois, l’air conditionné (comme dans beaucoup d’endroits d’Asie) marche à fond et une petite veste est la bienvenue. Pour le reste, vous ferez route avec de beaux surfers (les Mentawai étant surtout prisées pour ses incroyables spots de surf) ce qui n’a personnellement pas gâché mon voyage.
Le Fastboat faisait arrêt sur une autre île ce jour-là et le trajet a duré 5 heures avec un petit arrêt pour se restaurer dans un Warung local. Une fois arrivé au port, nous avons pris un tuk-tuk moto qui nous a conduit a un petit village où le guide achète des provisions pour la préparation des repas, ainsi que pour votre famille d’accueil (et des tas de cigarettes pour les Mentawai qui sont des fumeurs invétérés). Après cela, nous avons embarqué dans une pirogue en bois pour nous enfoncer dans la jungle. Il y a selon moi quelque chose de fascinant et de jouissif à prendre distance avec la civilisation, une petite sensation de « Into the Wild », la fin tragique en moins, bien entendu. A la fin du trajet, le cours d’eau était vraiment de venu étroit et nous avons accosté. La plupart ont accosté, moi je suis tombée dans la boue, n’ayant pas perçu que ma jambe allait s’enfoncer jusqu’à mi-cuisse. Vous voilà prévenus et moi baptisée !
Les chemins pour accéder aux Umas furent ma plus grande surprise, il pleut fréquemment la nuit sous ces latitudes et les chemins marécageux sont agrémentés de rondins glissants que lesquels on marche en équilibre précaire. Lorsqu’on se rate, ce qui arrivent tous les trois pas pour les plus doués, on plonge la jambe dans la boue jusqu’au mollet ou au genoux, c’est très variable, en fonction de la taille de la jambe. Au début, on rigole des bruits de succion pour récupérer les chaussures, à la fin on se concentre, car l’exercice est fatigant. Nous avons dû faire appel à des Mentawais pour nous aider à porter nos bagages, car rester debout pour nous, simples occidentaux, était déjà un challenge. Ils s’en sont allé, nus-pieds, les bagages sur la tête, et nous ne les avons retrouvé qu’à notre arrivée, hilares de notre lenteur. Petite parenthèse, ils ont de l’humour, car un jour que je revenais de la rivière et que j’essayais de mettre péniblement mon collant sur des jambes encore humides, je confiais à une des femmes que je trouvais leurs conditions de vie bien difficiles, à quoi elle a répondu : « Comme de rentrer dans tes habits, on dirait » avant de me proposer un high five avec un grand sourire édenté, et bim ! Autre parenthèse, la plupart parlent un peu l’Indonésien, ce qui m’a permis de dialoguer directement avec eux, un vrai plaisir.
Les Mentawais vivent donc dans de grandes maisons familiales, les Umas, espacées de 20 minutes de marche chacune, parfois plus. Ce sont de grande maisons en bois, sans meubles, avec un feu de bois pour la cuisine au milieu. Ils n’ont pas d’électricité, par de réseau pour téléphoner, pas d’Internet… Pour se doucher et pour faire ses besoins, on va à la rivière, ce qui nous a appris très vite à ne pas trop boire le soir… La nuit tombe vite sous l’équateur et la seule lumière provient de petite lampes à pétrole de fabrication maison. La nuit, nous avons eu droit à de petites moustiquaires qui formaient comme des petites tentes, plus intimes, sympas. Eux dorment sur des nattes tressées en rotin, à la dure. Contre toute attente, j’ai eu froid la nuit (un sac de couchage et un vrai matelas pneumatique aurait été un plus). Les cochons dorment souvent sous la maison sur pilotis et les coqs et les poules ne sont pas loin, il faut s’habituer à cohabiter avec ce petit monde.
Un chamane, Tarason, vieux monsieur dont le visage respire la bonté, a été notre guide durant ces 4 jours. Les Mentawais sont pour la plupart encore animistes. Il nous a montré un peu de leur art de vivre et nous a expliqué un pan de leur culture ne perdition. Comme des élèves respectueux et attentifs, nous avons appris comment faire des pagnes à partir de l’écorce d’un arbre (long et fastidieux travail), comment trouver des verres de Sagou pour s’en nourrir (je préfère la version cuite à la version crue, personnellement). Avec une femme, nous sommes aller dans la rivières apprendre leur technique de pêche au filet, appris comment confectionner le Sagou à partir de l’écorce réduite en farine et cuite dans des bambous. Nos accompagnateurs cuisinaient pour nous, matin, midi et soir et les Mentawais qui nous accueillaient semblaient ravis de goûter à tout, des repas, aux gâteaux maisons, en passant par les barres de céréales que nous avions apportées en nombre.
Le premier jour, la dame qui nous accueillait m’a montré un pansement couvert de boue à son orteil. J’ai très vite compris qu’elle souhaitait que je la « soigne », elle avait parfaitement ciblé la bonne personne, je tourne de l’œil à l’évocation d’une simple égratignure. Mais, pas le choix, pour eux nous sommes « blancs », nous venons de la ville, nous avons forcément une trousse à pharmacie bien remplie, nous sommes donc la Providence. Je vous passe les détails, mais marcher dans la jungle pieds nus comprends des dangers. La plaie profonde avait été recousue et était en voie de cicatrisation. Ma réserve de pansement, de Bétadine, de pommade et mes chaussettes (mon soutien gorge aussi, mais c’est une autre histoire) y sont quand même passés. C’est sans regret que nous leur avons laissé notre pharmacie avec moult explications et à refaire, je leur apporterai encore plus, car ils n’ont rien, tout simplement rien…
Mon fils de 9 ans et moi avons fait le choix d’être tatoués selon leur rituels ancestraux. Les tatouages sont à la fois comme des vêtements pour leur corps, une façons de montrer leur appartenance à un certain niveau social ou à une même famille. Les symboles sont soigneusement choisis, notamment en fonction de ce qu’il leur faudra pour vivre, comme l’épine de rotin qui courent parfois tout au long de leurs bras ou pour conserver l’harmonie entre le corps et l’âme. La beauté (de l’âme et du corps, c’est pourquoi ils portent des fleurs) est indissociable de leur manière de vivre. Leur communion avec la nature et l’esprit des animaux fait partie de leur quotidien. Le temps a passé vite là-bas, sans stress, sans pensées parasites. Nous avons tout oublié, le boulot, les élections en France… L’isolement agit comme un cocon salvateur. Les journées sont rythmées par les besoins vitaux à combler et la joie simple de longues conversations un thé à la main avec des voisins venus rendre visites. Un retour au sources !
Lorsque je suis rentrée, j’ai commencé à lire beaucoup sur les Mentawais et j’ai compris avec beaucoup d’émotion ce que j’avais déjà pressenti, leur culture ne peut plus s’inscrire dans le temps. Ils ont longtemps été opprimés, leur forêt disparaitra et les jeunes se tournent vers des conditions de vie plus faciles. Comme toujours, la question liée à mon activité, s’est posée : faut-il ou non emmené des voyageurs là-bas ? Avec la plus grande honnêteté et après avoir beaucoup douté, je pense que c’est surtout la manière dont on le fait qui compte. Emmener un couple respectueux à leur rencontre ne détruira pas leur culture, mais l’entretiendra. L’apport financier qu’il reçoivent pour leur accueil leur permet certainement de tenir plus longtemps, surtout pour des couples plus âges dont les enfants sont partis. Ce qu’il ne faut pas importer là-bas, ce sont des touristes, des groupes qui imposent leur bruit, leur culture, leurs envies de confort et qui dénaturent l’expérience, la rencontre, les lieux.
Cette démarche d’immersion, longue et peu confortable, reste rare de nos jours. Mais sachez que si l’agence organisait ce voyage initiatique pour vous, ce sera dans le plus grand respect de ce peuple émouvant qui m’a marqué et vous marquera comme jamais.
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